- No links match your filters. Clear Filters
-
Quoted by 'La Théorie de la relativité: séance du 6 avril 1922', Bulletin de la Société française de philosophie 22 (3) (1922), pp. 91-113.
Description:'M. Einstein. – Je n'ai qu'un mot à dire au sujet des remarques de M. Hadamard. M. Hadamard dit qu'une théorie physique devait d'abord être logique, puis concorder avec des faits expérimentaux. Je ne crois pas que cela soit suffisant et, en tous cas, ce n'est pas évident a priori. Dire qu'une théorie est logique, cela signifie qu'elle est constituée à partir de symboles qui sont liés les uns aux autres au moyen de certaines règles, et dire que la théorie est conforme à l'expérience, signifie que l'on possède des règles de correspondance entre ces symboles et les faits. La relativité est issue de nécessités expérimentales ; cette théorie est logique en ce sens qu'on peut lui donner une forme déductive, mais il faut encore connaître des règles claires qui fassent correspondre ses éléments à la réalité ; il y a donc trois postulats et non deux, comme le pensait M. Hadamard.' (97)
'M. Cartan. – ... Le tenseur matière présente un intérêt physique, je demande à M. Einstein si le second en présente aussi un ? Jusqu'ici il n'a pas de signification physique, et il y a là une espèce de désaccord entre la géométrie et la nature.
M. Einstein. – Quel est ce tenseur ?
M. Cartan. – Les composantes sont les parties réelles et imaginaires des coefficients d'une certaine forme quadratique ternaire dont il est difficile de donner la signification en langage vulgaire.' (98)
'M. Einstein. – La géométrie est une conception arbitraire ; on est toujours libre d'adopter celle qu'on veut, en particulier une géométrie euclidienne ; mais les concepts euclidiens n'ont pas de signification physique et ne peuvent nous servir, à nous physiciens. De plus, la relation entre le continuum réel et l'espace géométrique imaginé n'est pas univoque et l'on ne peut pas dire que l'une des manières de parler soit préférable à l'autre.' (98)
'M. Jean Becquerel. – Au sujet du champ de gravitation d'un centre matériel, il me paraît intéressant de signaler un travail de G. Mie, qui a montré que notre représentation logique de l'univers est une projection orthogonale, dans un continuum euclidien à dix dimensions, du continuum d'Hilbert sur tout univers de Minkowski parallèle à l'univers asymptote. Cette interprétation conduit à la formule de Schwarzschild sans fonction arbitraire. Le résultat de Mie montre que les coordonnées employées par Schwarzschild sont celles avec lesquelles l'aspect de l'univers, pour le physicien, devient le plus intuitif.
M. Einstein. – On peut toujours choisir telle représentation qu'on veut si l'on croit qu'elle est plus commode qu'une autre pour le travail qu'on se propose ; mais cela n'a pas de sens objectif.' (99)
'M. Einstein. – À propos de la philosophie de Kant, je crois que chaque philosophe a son Kant propre, et je ne puis répondre à ce que vous venez de dire, parce que les quelques indications que vous avez données ne me suffisent pas pour savoir comment vous interprétez Kant. Je ne crois pas, pour ma part, que ma théorie concorde sur tous les points avec la pensée de Kant telle qu'elle m'apparaît. Ce qui me paraît le plus important dans la philosophie de Kant, c'est qu'on y parle de concepts a priori pour édifier la science. Or, on peut opposer deux points de vue : l'apriorisme de Kant, dans lequel certains concepts préexistent dans notre conscience, et le conventionnalisme de Poincaré. Ces deux points de vue s'accordent sur ce point que la science a besoin, pour être édifiée, de concepts arbitraires ; quant à savoir si ces concepts sont donnés a priori, ou sont des conventions arbitraires, je ne puis rien dire.' (102)
'M. Einstein. – La question se [Henri Bergson] pose donc ainsi : Le temps du philosophe est-il le même que celui du physicien ? Le temps du philosophe, je crois, est un temps psychologique et physique à la fois ; or le temps physique peut être dérivé du temps de la conscience. Primitivement les individus ont la notion de la simultanéité de perception ; ils purent alors s'entendre entre eux et convenir de quelque chose sur ce qu'ils percevaient ; c'était une première étape vers la réalité objective. Mais il y a des événements objectifs indépendants des individus, et de la simultanéité des perceptions on est passé à celle des événements eux-mêmes. Et, en fait, cette simultanéité n'a pendant longtemps conduit à aucune contradiction à cause de la grande vitesse de propagation de la lumière. Le concept de simultanéité a donc pu passer des perceptions aux objets. De là à déduire un ordre temporel dans les événements il n'y avait pas loin, et l'instinct l'a fait. Mais rien dans notre conscience ne nous permet de conclure à la simultanéité des événements, car ceux-ci ne sont que des constructions mentales, des êtres logiques. Il n'y a donc pas un temps des philosophes ; il n'y a qu'un temps psychologique différent du temps du physicien.' (107)
'M. Einstein. – Dans le continuum à quatre dimensions il est certain que toutes les directions ne sont pas équivalentes. D'autre part il ne paraît pas y avoir grande relation au point de vue logique entre la théorie de la relativité et la théorie de Mach. Pour Mach il y a deux points à distinguer : d'une part, il y a des choses auxquelles nous ne pouvons pas toucher ; ce sont les données immédiates de l'expériences ; d'autre part, des concepts que nous pouvons au contraire modifier. Le système de Mach étudie les relations qui existent entre les données de l'expérience ; l'ensemble de ces relations c'est, pour Mach, la science. C'est là un point de vue mauvais ; en somme, ce qu'a fait Mach, c'est un catalogue et non un système. Autant Mach fut un bon mécanicien, autant il fut un déplorable philosophe. Cette vue courte sur la science le conduisit à rejeter l'existence des atomes. Il est probable que si Mach vivait encore aujourd'hui, il changerait d'avis. Je tiens pourtant à dire que, sur ce point : les concepts peuvent changer, – je suis en complet accord avec Mach.' (111-112)